Au pays du soleil couchant

Un couple âgé

Avec un peu moins de 130 millions d’habitants, le Japon est le dixième pays le plus peuplé au monde. Un de ses plus grands problèmes, c’est sa population vieillissante qui compte des dizaines de milliers de centenaires, avec un taux de natalité très bas. On parle d’ailleurs d’« hiver démographique ». Les plus de 75 ans sont à présent plus nombreux que les moins de 15 ans !

En 1975, c’était la plus jeune des nations développées. Aujourd’hui, c’est la plus âgée. Chance ou calamité ? L’archipel a sa façon bien à lui de répondre à la question. Plongée dans le Japon vieillissant.

Population du Japon de 1872 à 2009. Prévisions à partir de 2010

Population du Japon de 1872 à 2009. Prévisions à partir de 2010.

Malgré sa santé fragile, Reiko Sato arpente vaillamment, tous les jours, les rues désertes de Yūbari, une bourgade de 9 000 âmes de l’île d’Hokkaidō. Le froid hivernal lui glace les os. À 78 ans, elle n’a pas le choix : son mari est décédé et sa pension mensuelle de 730 euros lui permet à peine de survivre. Alors l’ex-conseillère en beauté enchaîne les petits boulots, de la coiffure à domicile au travail aux champs durant la saison des melons. Sa ville, ancienne capitale du charbon, accumule les records. C’est la plus âgée du Japon : un habitant sur deux a plus de 65 ans et l’on dénombre huit fois plus de décès que de naissances. Elle affiche par ailleurs la plus grosse dette de l’archipel depuis la fermeture de la dernière mine, il y a vingt-six ans. Mais elle prétend aussi être la cité japonaise la plus exemplaire. Son maire, le charismatique Naomichi Suzuki, 34 ans — le plus jeune élu du pays —, a décidé de n’être rémunéré que 2 000 euros par mois, décrochant au passage le titre d’édile nippon le moins bien payé. Sa priorité : accompagner dignement ses vieux administrés dans leur fin de vie. À moins d’un changement radical, Yūbari aura perdu deux tiers de ses habitants dans les vingt-cinq prochaines années.

Plus de 60 000 centenaires

La population de centenaires au Japon pourrait presque remplir le Stade de France.

La population de centenaires au Japon pourrait presque remplir le Stade de France.

Pour le pire comme pour le meilleur, Yūbari est un microcosme de ce que sera le Japon dans les décennies qui viennent : un archipel grisonnant. En 1975, la population japonaise était pourtant la plus jeune des pays de l’OCDE avec seulement 8 % d’individus de plus de 65 ans. Ils représentent désormais 27 % de la population (18,8 % en France, selon l’Insee) et seront presque 41 % en 2050, selon le ministère des Affaires intérieures et des Communications japonais. Explication : avec 1,4 enfant par femme, le renouvellement des générations n’est plus assuré. Ensuite, l’espérance de vie n’a cessé de s’allonger. L’archipel vient même de franchir la barre des 60 000 centenaires. Ce vieillissement est à la fois une aubaine et un cauchemar pour un pays dont l’économie est au ralenti depuis deux décennies. D’une part, l’assistance aux personnes âgées est un secteur florissant, et les besoins sont même si grands que les êtres humains pourraient ne plus y suffire. D’autre part, ce « péril vieux » ponctionne déjà 70 % des dépenses sociales publiques (financement des retraites, frais de santé…). Kenji Shimazaki, professeur au prestigieux Collège doctoral de recherche politique, à Tokyo, tire la sonnette d’alarme : « La population active qui finance ces dépenses sociales va dégringoler au moment même où les effectifs de la population âgée vont exploser. En 2016, on compte 2,3 actifs pour un retraité. Mais en 2050, ils ne seront plus que 1,3. » En 2013, Taro Aso, 73 ans, vice-premier ministre chargé des Finances, proposait une solution… radicale : « La question des dépenses faramineuses en gériatrie ne sera réglée que si vous incitez [les seniors] à se dépêcher de mourir. » Quand on n’est pas un trésor national vivant — ces personnalités, souvent âgées, gardiennes des traditions et objets officiels de vénération —, il y a de quoi se faire des cheveux blancs. Ou se retrousser les manches.

Un quart des actifs a plus de 65 ans

Séance de thérapie relationnelle avec le robot Smiby dans une maison de retraite.

Séance de thérapie relationnelle avec le robot Smiby dans une maison de retraite.

Et c’est exactement ce qui est en train de se passer. À Tokyo, il n’est pas rare, aux heures tardives, de rencontrer des anciens en uniforme, moulinant du bras pour indiquer la direction du dernier métro. Les chauffeurs de taxi sont gantés de blanc en accord avec leur chevelure. À Nagoya, les vigiles ont désormais le muscle triste et la cataracte naissante. Qu’importe donc la vue dégradée, le manque de dextérité ou encore les gestes saccadés… Dans ce pays de 126 millions d’habitants, un quart des actifs a déjà plus de 65 ans (2,3 % en France, selon l’OCDE). L’âge officiel de la retraite, 62 ans actuellement, sera repoussé à 65 en 2025. Pour commencer. Car la main-d’œuvre senior est devenue indispensable. Avec à peine 1,4 % d’étrangers sur son sol, le Japon est l’un des pays les plus fermés au monde. C’est donc aux « vieux » de travailler, et les entreprises de plus de trente employés ont pour obligation de favoriser la réembauche de leurs anciens salariés de plus de 60 ans, avec souvent des horaires aménagés et des salaires diminués. Des mesures qui ne font qu’officialiser un état de fait, puisque quatre Japonais de plus de 60 ans sur cinq poursuivent leur activité. En moyenne, c’est à 69 ans qu’on laisse sa vie de labeur derrière soi. Depuis 2014, MOS Burger, la plus grande chaîne japonaise de fast-food, emploie des mamies burgers dans son restaurant du quartier de Gotanda à Tokyo. Parées de leur uniforme vert, les cheveux gris s’échappant du calot, les dix employées œuvrent le plus souvent la nuit. Leur politesse, leur douceur et leur sourire rassureraient les clients. Revenu mensuel : environ 1 600 euros, prime de minuit incluse.

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