Monet, Gauguin, Van Gogh… Inspiration japonaise

À la découverte d’une belle exposition présentant l’influence du Japon sur les peintres français.

Avec « Monet, Gauguin, Van Gogh… Inspiration japonaise », le Kunsthaus Zürich consacre une exposition d’une grande richesse à un chapitre fascinant de l’art français de la seconde moitié du XIXe siècle. Plus de 350 œuvres provenant du monde entier y sont réunies, qui mettent en lumière l’image que les Européens se faisaient alors du Japon.

« Carpe » d'Hokusai, vers 1830-1844, gravure sur bois polychrome, 36,4 x 17 cm. (Museum für asiatische kunst/Art research center Ritsumeikan university, Kyoto)

« Carpe » d’Hokusai, vers 1830-1844, gravure sur bois polychrome, 36,4 x 17 cm. (Museum für asiatische kunst/Art research center Ritsumeikan university, Kyoto)

L’accent est mis sur la période 1860-1910, qui correspond aux débuts et à l’apogée de la réception de l’art japonais en France. Vous allez pouvoir découvrir trois différentes démarches artistiques qu’a inspirées le Japon : la représentation d’objets et de motifs japonais dans les œuvres d’artistes occidentaux, la transposition dans un cadre européen et l’interprétation de thématiques et de formes d’inspiration japonaise ainsi que l’intériorisation de techniques et de procédés stylistiques japonais.

« Japonaiserie » (d’après Keisaï Yeisen), 1887. Huile sur coton, 110,3 × 60 cm. Musée Van Gogh, Amsterdam (Fondation Vincent van Gogh)

« Japonaiserie » (d’après Keisaï Yeisen), 1887. Huile sur coton, 110,3 × 60 cm. Musée Van Gogh, Amsterdam (Fondation Vincent van Gogh)

Le terme « japonisme » ne désigne ni un style homogène ni une époque précisément délimitée. Il fait référence à une attitude, à une véritable passion pour la culture et l’art japonais, qui commença à se manifester en France après l’ouverture du Japon au monde extérieur sous la pression des Américains, en 1854 — et qui prit la forme d’une frénésie de collection et d’un intérêt à la fois littéraire et artistique pour ce pays « redécouvert ».

Les artistes témoignèrent de cet engouement pour le pays du soleil levant en représentant de l’art japonais, des objets et des fleurs importés du Japon dans leurs tableaux ou, comme le fit Van Gogh, en transposant des gravures sur bois polychromes en peintures, tout en conservant un mode de représentation marqué par la tradition européenne. Les sujets et les principes de composition inhabituels des estampes japonaises leur ouvrirent des voies nouvelles par rapport à l’esthétique en vigueur jusque-là dans l’art européen. Certains adaptèrent des thèmes japonais dans leurs œuvres (femmes à la toilette, vagues, rochers dans la mer, etc.). Inspirés par les représentations sérielles de motifs (le mont Fuji, des ponts, des cascades, etc.) dans l’œuvre de Katsushika Hokusai ou de Utagawa Hiroshige, des artistes comme Gustave Courbet, Claude Monet, Paul Cézanne et Henri Rivière se mirent eux aussi à représenter inlassablement un seul et même sujet et, dans le cas de Courbet et de Monet, à le peindre sous forme de série.

Des moyens de composition réinterprétés

Les artistes français reprirent des procédés stylistiques de l’estampe japonaise, les intériorisèrent et les utilisèrent à leur manière. Parmi les principaux outils de composition réinterprétés par les artistes occidentaux figurent l’opposition entre le premier plan et l’arrière-plan par aplats étagés, les vues plongeantes ou ascendantes abruptes, les motifs principaux coupés par le bord de l’image, des éléments picturaux placés en diagonale, la simplification des formes en grands aplats compacts avec contours appuyés, la disposition asymétrique des éléments picturaux, une dimension décorative de l’espace ainsi que des formats à la verticalité ou à l’horizontalité extrêmement marquée. De nombreux artistes admiraient les couleurs des estampes, tantôt lumineuses et puissantes, tantôt subtilement nuancées, n’hésitant pas à se les approprier, comme Vincent Van Gogh.

Le jardin de Monet

Toulouse-Lautrec, Rivière, Cassatt et Vallotton donnèrent un nouvel élan aux techniques de gravure en s’appuyant sur les modèles japonais. Monet quant à lui s’inspira d’estampes japonaises en couleur pour créer en 1893 son jardin de Giverny, avec bassin aux nymphéas et pont de bois. Le choix des végétaux était lui aussi inspiré par l’Extrême-Orient, avec des iris, des pavots d’Orient, des azalées et surtout des chrysanthèmes. C’est là que furent créés les tableaux des nymphéas, qui comptent aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre du début du XXe siècle, et ont tant marqué les générations d’artistes suivantes. Sans le grand intérêt du peintre pour l’art japonais, ce cycle n’aurait pas été imaginable.

« Le bassin aux nymphéas », 1899. Huile sur toile, State Pushkin Museum of Fine Arts, Moscou

« Le bassin aux nymphéas », 1899. Huile sur toile, State Pushkin Museum of Fine Arts, Moscou.

« À l’intérieur du sanctuaire Kameido Tenjin » (Kameido Tenjin keidai), 1856. Planche 65 de la série des « Cent vues célèbres d’Edo (Meisho Edo hyakkei) ». Gravure sur bois polychrome, 34,2 × 22.5 cm. Bibliothèque nationale de France, ancienne collection Henri Rivière.

« À l’intérieur du sanctuaire Kameido Tenjin » (Kameido Tenjin keidai), 1856. Planche 65 de la série des « Cent vues célèbres d’Edo (Meisho Edo hyakkei) ». Gravure sur bois polychrome, 34,2 × 22.5 cm. Bibliothèque nationale de France, ancienne collection Henri Rivière.

Un artisanat d’art de grande valeur

Parallèlement aux arts figuratifs, les arts appliqués furent eux aussi stimulés par des céramiques, objets laqués, éventails et paravents importés. Des artistes tels qu’Émile Gallé, François-Eugène Rousseau, Jean Carriès ou Paul Jeanneney ne furent pas les seuls à s’en inspirer et à leur emprunter des motifs et des formes : Edgar Degas, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Félix Vallotton et Auguste Rodin, pour n’en citer que quelques-uns, en firent autant. Quant au grès japonais, plutôt négligé jusqu’alors, il fut une impulsion décisive pour des artistes tels que Jean Carriès et Paul Jeanneney.

Gravures sur bois en couleur

Presque tous les artistes qui s’inspirèrent de l’iconographie et du langage formel de l’Extrême-Orient collectionnaient eux-mêmes de l’art japonais, en particulier les gravures sur bois polychromes du « ukiyo-e », que l’on trouvait alors à petit prix — tandis qu’aujourd’hui, considérées comme des chefs-d’œuvre, elles atteignent des sommes considérables. Quelques-unes des gravures polychromes exposées proviennent d’ailleurs de collections d’artistes du XIXe siècle.

Quant à l’« érotisme japonais », thème auquel l’histoire de l’art européenne ne s’intéresse que depuis quelques années, l’exposition l’aborde à travers des « shunga » (images de printemps) et des gravures de Pablo Picasso.

Première exposition depuis 45 ans

La plupart des objets japonais présentés proviennent du Museum Folkwang d’Essen, qui possède dans ce domaine un fonds pratiquement inconnu. Si l’on retrace l’histoire des expositions qui ont été organisées au Kunsthaus Zürich, on constate que l’art japonais y a très tôt suscité un grand intérêt. Dès 1928, le Kunsthaus présentait des estampes japonaises. La dernière exposition de trésors artistiques japonais organisée au Kunsthaus Zürich le fut en 1969 par son directeur René Wehrli. On pouvait y admirer des sculptures, des céramiques, des vêtements et des masques du théâtre nô mais aussi des rouleaux kakemono, des paravents et des objets laqués provenant de collections japonaises publiques et privées. 45 années se sont donc écoulées depuis la dernière exposition d’œuvres d’Extrême-Orient au Kunsthaus Zürich. Nous sommes donc particulièrement heureux que cette possibilité se présente à nouveau, qui plus est dans le cadre d’un dialogue fort inspirant avec des chefs-d’œuvre de l’art français.

Citations

Un artiste

Dans une lettre du 31 juillet 1888 adressée à son frère, Vincent Van Gogh décrit une scène observée au port d’Arles, qui lui inspira peu après le tableau « Barques sur le Rhône » : « J’ai vu un effet magnifique et très étrange ce soir. Un très grand bateau chargé de charbon sur le Rhône, amarré au quai. Vu d’en haut, il était tout luisant et humide d’une averse ; l’eau était d’un blanc jaune et gris perle trouble, le ciel lilas, avec des bandes orangées au couchant, la ville violette. Dans le bateau, de petits ouvriers bleus et blanc sale allaient et venaient portant la cargaison à terre. C’était de l’Hokusai pur. »

Un collectionneur

« Japonisme : attraction de l’époque, rage désordonnée qui a tout envahi, tout commandé, tout désorganisé dans notre art, nos modes, nos goûts, même notre raison » – c’est en ces termes qu’à l’occasion de l’exposition universelle de 1878, le mécène et amateur de céramiques Adrien Dubouché décrit dans la revue « L’Art » l’engouement général pour le Japon que connaissait la France de l’époque.

Un critique

Dans son essai de 1878 intitulé « Les peintres impressionnistes », le critique d’art Théodore Duret faisait cette remarque pertinente : « Il fallut l’arrivée parmi nous des albums japonais pour que quelqu’un osât s’asseoir sur le bord d’une rivière, pour juxtaposer sur une toile un toit qui fût hardiment rouge, une muraille qui fût blanche, un peuplier vert, une route jaune et de l’eau bleue. Avant l’exemple donné par les Japonais, c’était impossible. » (Source : Kunsthaus Zürich)

Cette exposition est le fruit d’une collaboration avec le Museum Folkwang d’Essen.

Avec le soutien de la Fondation Truus et Gerrit van Riemsdijk, d’autres mécènes et de Farrow & Ball, sponsor des peintures murales de l’exposition.


Kunsthaus Zürich
Heimplatz 1
CH – 8001 Zürich
Tél. +41 (0)44 253 84 84
www.kunsthaus.ch

L’exposition est visible du 20 février au 10 mai 2015.

Ven – dim/mar 10 h – 18 h
mer/jeu 10 h – 20 h

Jours fériés :
Pâques
du 3 au 6 avril, 1er mai : 10 h – 18 h.

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