Dans cet entretien, Terres d’Asie vous invite à découvrir le cinéma iranien grâce à Cinéma(s) d’Iran et à l’association Le Chat persan.
Bamchade Pourvali, vous êtes le directeur de publication de Cinéma(s) d’Iran. Quel est votre parcours ?
J’ai fait des études d’Histoire et de cinéma à Paris IV et Paris III. En 2003, j’ai publié un petit livre sur Chris Marker aux « Cahiers du cinéma » suivi d’un autre sur Jean-Luc Godard : « Godard Neuf Zéro, les films des années 90 de Jean-Luc Godard » (Séguier, 2006). En 2007, j’ai signé un nouveau livre sur le cinéma de Wong Kar-wai : « Wong Kar-wai, la modernité d’un cinéaste asiatique » (l’amandier, 2007). Depuis 2009, je travaille plus particulièrement sur le cinéma iranien à travers des textes parus dans les « Cahiers du cinéma », « Rue 89 » ou le journal portugais « Publico ».
Parlez-nous de l’association Le Chat persan.
L’association « Le Chat Persan » est née en 2011 de la rencontre d’étudiants français, iraniens et franco-iraniens à l’INALCO. Notre souhait était d’améliorer la compréhension de la culture iranienne en France. Nos efforts se sont concentrés dès le début sur la promotion du cinéma iranien à travers notre ciné-club afin de mieux faire connaître l’évolution de la société iranienne.
Les adhérents sont-ils majoritairement d’origine iranienne ?
Il existe une réelle mixité au sein de l’association. Les adhérents sont majoritairement jeunes et possèdent au moins un parent iranien. Ceux dont la famille est pleinement iranienne appartiennent à la deuxième génération d’enfants grandis en France. Quant à ceux qui n’ont pas d’attaches familiales avec l’Iran, ils sont reliés à ce pays par leurs études à l’INALCO. Nous tenons beaucoup à cette double culture franco-iranienne.
Cinéma(s) d’Iran est consacré à l’histoire et à l’actualité du cinéma iranien. Qu’y trouve-t-on ?
« Cinéma(s) d’Iran » souhaite mettre en avant la diversité du cinéma iranien. Le site s’intéresse aussi bien à l’Histoire qu’à l’actualité du cinéma iranien. Le (s) du titre a pour vocation de rapprocher le cinéma d’avant et d’après la Révolution, mais aussi le cinéma tourné en Iran ou à l’extérieur du pays. On y trouve aussi bien des actualités que des portraits de réalisateurs ou d’acteurs, mais aussi des dessins, des interviews, des critiques. Enfin, des textes plus développés intitulés « Repères » traitant de sujets d’ensemble comme : « L’Iran vu par Hollywood », les vidéos iraniennes du Net au moment du « Mouvement vert » ou une introduction à l’« Histoire du cinéma iranien (1900-2012) ».
Comment décririez-vous l’industrie cinématographique iranienne ?
L’Iran produit aujourd’hui une centaine de films par an, ce qui en fait une industrie importante avec des acteurs et des techniciens professionnels. Il existe une dizaine de titres de presse consacrés au cinéma en Iran. Mais le nombre de salles est réduit : 400 pour une population de 70 millions d’habitants. En comparaison, la France possède 6 000 salles pour 60 millions d’habitants. Les films sont surtout vus en DVD ou sur le Net où l’on peut avoir accès a beaucoup de films iraniens en intégralité.
Les réalisateurs iraniens éprouvent-ils des difficultés à réaliser des films ? Existe-t-il une censure ?
Le cinéma iranien est soumis à une censure très stricte afin de respecter les codes et la morale islamique. Tous les scénarios doivent être soumis à la censure qui peut exiger des coupes ou interdire un film de diffusion. C’est de l’autorisation de l’Ershad (le ministère de l’Orientation et de la Guidance islamique) que dépend le sort d’un film ou de toute œuvre culturelle en Iran. Malgré ces interdits comme le port du voile obligatoire ou l’absence de contacts physiques entre homme et femme, les cinéastes iraniens parviennent à réaliser des films inventifs. Le cinéma iranien a ainsi créé un genre : le « film de femmes » (des œuvres critiques sur la condition féminine interprétées essentiellement par des femmes) et a su dépasser certains tabous par la parole.
On connaît surtout les films indiens, chinois ou japonais. Comment est perçu le cinéma iranien en France ?
C’est en France que le cinéma iranien a été reconnu sur le plan international dans les années 1990 à travers les films d’Abbas Kiarostami ou de Mohsen Makhmalbaf. MK2 a été le distributeur puis le producteur de Kiarostami et de Makhmalbaf et c’est Memento Films qui produit aujourd’hui « Le Passé » d’Asghar Farhadi, l’auteur d’« Une Séparation », au un million d’entrées en France. Le film est en compétition à Cannes où Abbas Kiarostami a remporté la Palme d’or en 1997 avec « Le Goût de la Cerise », et où Jafar Panahi et Bahman Ghobadi ont obtenu la Caméra d’or pour « Le Ballon blanc » (1995) et « Un temps pour l’ivresse des chevaux » (1999). Le cinéma iranien bénéficie donc d’une reconnaissance importance en France même si le nom de Kiarostami a longtemps dominé au sein de la critique. Enfin, c’est en France que Marjane Satrapi a publié et porté à l’écran « Persepolis » (2007) et « Poulet aux prunes » (2010).
Où peut-on voir les films iraniens en France ?
L’actuelle Filmothèque du Quartier latin dirigée par Mahmad Haghighat a montré de nombreux films iraniens et organisé un festival dans les années 1990 contribuant à faire connaître ce cinéma. La Cinémathèque française et le Forum des images programment aussi régulièrement des films iraniens. Quant à notre ciné-club au Nouvel Odéon, il propose un film iranien par mois, le samedi matin à 11 h, d’octobre à juillet.
Quel film recommanderiez-vous pour celui qui veut découvrir le cinéma iranien ?
Le cinéma iranien est aujourd’hui très divers, il est donc difficile de ne citer qu’un film.
Mais s’il fallait nommer un long métrage caractéristique du cinéma iranien de ces 30 dernières années, je dirais « Close up » (1990) d’Abbas Kiarostami. C’est certainement l’œuvre qui montre le mieux le jeu entre la fiction et la réalité qui est au cœur du cinéma iranien des années 90 en s’intéressant à l’histoire d’un chômeur, Hossein Sabzian, qui se fait passer pour le réalisateur Mohsen Makhmalbaf afin d’être accepté par une famille de Téhéran jusqu’à ce que son mensonge soit découvert. Le film alterne les scènes de procès réelles et la mise en scène de l’histoire sous forme de reconstitution. On ne sait plus à la fin ce qui relève de la fiction ou du réel. Grâce à Kiarostami, Sabzian transforme son mensonge en vérité : il rencontre le cinéaste Makhmalbaf et est accepté par la famille qui l’avait conduit en procès.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma iranien ?
L’avenir du cinéma iranien est problématique. L’année 2009 a en effet été une des plus riches en terme de production aussi bien à l’intérieur de l’Iran qu’à l’extérieur avec des films comme « À propos d’Elly » d’Asghar Farhadi, « Téhéran » de Nader T. Homayoun, « The Hunter » de Rafi Pitts, mais la censure qui a suivi les élections de juin 2009 a stoppé cet élan. En décembre 2010, Jafar Panahi a été condamné à 6 ans d’emprisonnement et 20 ans d’interdiction de tourner. Il est aujourd’hui assigné à résidence tout en continuant à filmer pour témoigner de sa situation. De nombreux cinéastes ont choisi l’exil comme Bahman Ghobadi ou Mohsen Makhmalbaf, d’autres tournent à l’étranger comme Abbas Kiariostami ou Asghar Farhadi. Des actrices ont également quitté le pays comme Golshifteh Farahani. Si le cinéma iranien a accompagné la transformation de l’Iran depuis la Révolution de 1979, il semble aujourd’hui dans l’impossibilité de donner des nouvelles du pays. Rakhshan Bani Etemad, la doyenne des cinéastes iraniennes, a ainsi tourné un nouveau film « Les Histoires », interdit par la censure. Le pays a plus que jamais besoin de ses artistes. Il faut donc espérer que la situation change pour que les Iraniens puissent continuer à voir leur Histoire. C’est de cette révolution intellectuelle et artistique que dépend l’avenir du pays.
Propos recueillis par Pascal Marion le 29 avril 2013
« Regards sur le cinéma iranien 2012 » : Bamchade Pourvali et Patrick Giessberger
Interview accordée par Bamchade Pourvali et Patrick Giessberger à Mozaïk TV, la télévision sans frontière de Sarreguemines, le mercredi 21 mars 2012, à l’occasion de la manifestation « Regards sur le cinéma iranien » organisée du 19 mars au 05 avril 2012 dans les villes de Thionville, Sarreguemines, Longwy, Esch-sur-Alzette (Luxembourg) et Sarrebruck (Allemagne).
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