Jérôme Bouchaud, des Éditions Jentayu

Terres d’Asie s’est intéressé, dans cet entretien, à la littérature asiatique. Nous vous emmenons à la découverte de Jentayu.

Logo de Jentayu

Jérôme Bouchaud, vous êtes le directeur des Éditions Jentayu. Pouvez-vous vous présenter à nos visiteurs ?

Je suis Lyonnais d’origine et installé depuis bientôt 13 ans en Asie. J’ai d’abord vécu en Chine avant d’émigrer en Malaisie, où je me consacre à l’écriture, à la traduction littéraire et, depuis peu, à l’édition d’ouvrages en lien avec l’Asie.

Quel est votre parcours ?

Au sortir d’études commerciales, j’ai travaillé un temps en Chine dans le domaine de l’import-export. Une réflexion personnelle m’a amené à me réorienter vers des choses qui comptaient beaucoup pour moi, mais que j’avais un temps délaissées – par paresse intellectuelle, sans doute –, à savoir un goût prononcé pour les langues, la littérature, l’écriture et le voyage. De bien belles notions, mais qui ne font pas nécessairement un emploi. En prenant le temps, des idées me sont venues, des opportunités se sont présentées, et je me consacre aujourd’hui à des activités qui font sens pour moi.

Votre cheminement vous a sûrement conduit à apprendre des langues asiatiques. Lesquelles parlez-vous ?

Effectivement, mon séjour en Chine m’a permis d’approfondir mon niveau de chinois mandarin, que j’avais commencé à apprendre en France et que j’ai un temps parlé et lu couramment. Depuis mon arrivée en Malaisie, néanmoins, je le pratique beaucoup moins, donc il est un peu « rusty »… Par contre, j’ai pu me mettre au malais entre-temps et je le baragouine avec mes amis malaisiens, quand ils veulent bien me parler autrement qu’en anglais ! Et puis, il y a le manglish bien sûr — ou le singlish pour nos amis de l’autre côté du Causeway — que je maîtrise parfaitement !

Quelle est la genèse de Jentayu ? Pourquoi ce nom ?

Ravana combattant Jatayu.

Ravana combattant Jatayu.

Un faisceau d’idées et de rencontres a mené à la création de Jentayu. Tout d’abord, j’ai lancé en 2012 le site Lettres de Malaisie, frustré de ne pas trouver grand-chose sur Internet au sujet des livres en français en lien avec la Malaisie. À Lettres de Malaisie est venue se greffer l’aventure du pantoun francophone et de la revue de poésie en ligne Pantouns. Le pantoun est un genre poétique malais méconnu chez nous, mais qui, depuis plus de deux ans maintenant, et grâce à la revue Pantouns, a acquis une petite notoriété chez les poètes francophones. Le premier livre de Jentayu (Une Poignée de Pierreries, 2014) a ainsi été une anthologie des meilleurs pantouns collectés depuis les débuts de la revue Pantouns. La raison d’être des éditions Jentayu, c’est justement de rendre accessibles des formes littéraires provenant d’Asie et peu connues sous nos latitudes. Quant à la revue Jentayu, consacrée à la traduction de textes courts d’auteurs asiatiques, elle s’inscrit elle aussi dans cette envie de défricher de nouveaux espaces littéraires. Pour la petite histoire, Jentayu est le nom malais de Jatayu (NDLR : du sanskrit जटायुः Jatāyu, demi-Dieu se présentant sous la forme d’un vautour), oiseau mythique du Ramayana et neveu de Garuda. D’après le Ramayana, jeune et intrépide, Jentayu vole si haut qu’il manque tout juste de se brûler les ailes ; une fois vieux, il combat courageusement le démon Ravana pour tenter de l’empêcher d’enlever la belle Sita, épouse de Rama. En plus d’être un clin d’œil à mon pays d’accueil, Jentayu est un peu le symbole de la « mission impossible » que je me suis fixée : faire connaître des pans inexplorés des littératures d’Asie.

Comment est organisée votre maison d’édition ?

Il y a en France quelques facilités de création de structures pour les petits entrepreneurs comme moi. Je suis inscrit en tant qu’auto-entrepreneur, sans doute le meilleur statut pour commencer cette aventure à moindres frais et sans trop de complications administratives.

Vous publiez à la fois des livres et une revue. Sont-ils complémentaires ?

Le premier livre de Jentayu est un coup de cœur, le fruit d’une amitié féconde nouée avec d’autres amoureux de poésie et du genre pantoun. Aujourd’hui, je me consacre davantage à la promotion de la revue Jentayu, qui doit encore faire ses preuves sur le moyen terme. D’autres livres suivront, et je pense qu’ils seront complémentaires de la revue. Peut-être seront-ils écrits par des auteurs révélés dans la revue ? Peut-être permettront-ils, une nouvelle fois, d’approfondir une forme littéraire peu usitée chez nous ? Je ne le sais pas encore, mais des possibilités se feront jour.
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Les auteurs traduits sont-ils uniquement asiatiques ?

Dans le cadre de la revue, oui. Pour ce qui est des livres, une plus grande ouverture est possible, à condition que l’auteur place son œuvre — de fiction de préférence, mais pas forcément — dans un contexte asiatique et qu’il mette en valeur une région, une culture, une personnalité, une facette méconnue de ce continent si divers.

Comment se font le choix du thème et la sélection des écrivains ?

Pour la revue, le choix du thème se fait en petit comité avec d’autres traducteurs impliqués dans la revue. On échange quelques idées et la décision finale me revient. Jusqu’à présent, tous les thèmes sont basés sur une dichotomie (« Jeunesse et Identité(s) », « Villes et Violence », « Dieux et Démons »), mais ce ne sera pas forcément toujours le cas. Quant à la sélection des écrivains, elle revient en grande partie aux traducteurs eux-mêmes. Ce sont eux qui proposent les textes qu’ils souhaiteraient traduire. Mes seules conditions sont que ces écrivains soient contemporains, qu’ils n’aient pas (ou très peu) été publiés en français jusqu’à présent, et que leurs textes présentent une vraie valeur littéraire, stimulant l’imagination et la réflexion, voire suscitant le débat.

Qui se charge des traductions ? Avez-vous des correspondants en Asie ?

Les traductions sont assurées par des traducteurs littéraires professionnels et chevronnés. Ce sont eux aussi qui, pour certains, proposent les notes de lecture qui accompagnent leurs traductions. La plupart sont basés en France ou dans des pays francophones, mais ont longtemps séjourné et séjournent encore régulièrement en Asie. Tous, jusqu’à présent, ont été séduits par le concept de la revue et ont généreusement donné de leur temps pour proposer des textes en lien avec les thèmes définis. Les relectures sont assurées par un petit comité de lecture, et des échanges se font ensuite avec chaque traducteur pour essayer d’aboutir aux meilleurs compromis possible.

Quels sont les pays que vous couvrez ?

Tous les pays d’Asie, des steppes d’Asie centrale aux rizières d’Asie du Sud-est, avec une préférence pour les pays hors du trio de tête des publications sur l’Asie, à savoir la Chine, l’Inde et le Japon. Il n’est pas question néanmoins d’exclure ces trois pays — qui sont des terres fertiles et particulièrement excitantes de littérature —, mais juste de rétablir un peu l’équilibre en faveur des marges.

Est-ce qu’il y avait une demande du public pour ce type de publication ?

Les cultures asiatiques bénéficient de manière générale d’un intérêt grandissant, que ce soit pour leurs langues, leurs philosophies, leurs cuisines, leurs littératures, etc. Ceci étant dit, c’est à la charge de l’éditeur de susciter l’intérêt pour ses publications et on n’est jamais certain au départ qu’un concept emportera les faveurs des lecteurs. Une chose est sûre : ce genre de revue était attendu par les traducteurs eux-mêmes. Beaucoup ont envie de partager plus qu’il ne leur est donné de le faire actuellement. Le travail du traducteur, en tant que passeur de mots et de médiateur culturel, a aussi besoin d’être davantage mis en valeur qu’il ne l’est aujourd’hui. La revue participe de cet élan pour une plus grande reconnaissance de la place centrale du traducteur dans ce processus de transmission d’une œuvre littéraire.

Vous venez de publier le deuxième numéro de Jentayu. Quel est le bilan que vous en faites ?

Ville et violence

C’est encore trop tôt pour le dire. La participation des traducteurs est une nouvelle fois au rendez-vous, avec pas moins de douze professionnels ayant contribué à la mise en place du numéro. Le premier numéro avait déjà suscité un certain engouement, j’espère que cet intérêt se confirmera au fil des numéros et que les traducteurs, comme les lecteurs, s’approprieront complètement la revue.

Vos projets pour le futur ?

Le rendez-vous est déjà pris pour le numéro 3 de Jentayu, sur le thème « Dieux et Démons », qui paraîtra en janvier prochain. Des projets de hors série par pays sont également envisagés, en gardant le concept actuel de la revue. Et si l’occasion se présente de publier un roman, un essai, un recueil de nouvelles ou de poèmes éclairant les lecteurs francophones sur un pays ou une région méconnue d’Asie, on essaiera de donner un peu plus d’ampleur au catalogue de Jentayu !

Entretien réalisé par Pascal Marion le 28 juin 2015

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