Résurrection d’une pièce de théâtre de marionnettes japonaises

Les 2 et 3 juin 2017, un spectacle de marionnettes japonaises Bunraku (classé au patrimoine culturel immatériel) dont le texte fut perdu pendant très longtemps sera donné à la British Library par des interprètes dirigés par le joueur de Shamisen Echigo Ka kutayū et le marionnettiste Nishihashi Hachirōbei. Intitulé Echigo no Kashiwazaki Kōchi Hōin godenki (越後國柏崎弘知法印御博記) ou « La vie du grand prêtre Kōchi de Kashiwazaki dans la province de Echigo », la pièce anonyme est une version très romancée de la vie du moine Kōchi Hōin (décédé en 1363), dont les restes momifiés sont conservés au temple Saishōji de Nagaoka, dans la préfecture de Niigata.

Couverture et première page du Kōchi Hōin godenki. Cette dernière comporte une légère différence dans le titre Kōchi Shōnin — que Kaempfer a rendu par Kootsi Foin (BL ou 75. g. 23 [1])

Couverture et première page du Kōchi Hōin godenki. Cette dernière comporte une légère différence dans le titre Kōchi Shōnin — que Kaempfer a rendu par Kootsi Foin (BL ou 75. g. 23 [1])

À l’occasion de ces représentations, le texte intégral de la pièce, composé de 16 feuillets et comprenant 6 illustrations en noir et blanc, a été scanné et mis à disposition du public sur le site Web des manuscrits numériques de la British Library (BL ou 75. g. 23 [1]).

Kōchi Hōin rencontre un demon (BL Or 75.g.23(1) fol 7r).

Kōchi Hōin rencontre un démon (BL Or 75.g.23(1) fol 7r).

La pièce appartient à un genre connu sous le nom de jōruri, une forme de narration dramatique exécutée par un chanteur (tayū) qui accompagne le shamisen. Il est décrit plus précisément comme kojōruri (« ancien » jōruri), terme appliqué aux textes précédant l’époque du célèbre dramaturge Chikamatsu Monzaemon. Dès le début du XVIIe siècle, les histoires furent utilisées dans le théâtre traditionnel japonais de marionnettes, à l’origine appelé Ningyō jōruri ou « marionnette jōruri » et plus largement connu aujourd’hui sous le nom de Bunraku.

Geisha jouant du shamisen (Seirō bijin awase, 1770 (BL Or.75.g.34 v.2 fol. 26v))

Geisha jouant du shamisen (Seirō bijin awase, 1770 (BL Or.75.g.34 v.2 fol. 26v))

Selon une note à la fin du texte, celui-ci a été publié à Edo (aujourd’hui Tokyo), en 1685 [Jōkyō 2] par Urokogataya, basé sur une version originale (shōhon) produite par le chanteur Edo Magoshirō. Peu de temps après, il a été acquis par le médecin naturaliste allemand Engelbert Kaempfer (1651-1716), auteur de L’Histoire du Japon, qui a servi comme médecin à la société néerlandaise de l’est de l’Inde à Deshima à partir de 1690-1692. Pendant ce temps, il a rassemblé des livres, des manuscrits, des cartes, des échantillons d’histoire naturelle et des artefacts ethnologiques qui devaient servir de matériau source pour ses écrits ultérieurs sur le Japon après son retour en Allemagne. Kaempfer était clairement intéressé par ce texte puisqu’il y a des annotations consignées de sa main identifiant certains des personnages principaux.

Auto-portrait par Engelbert Kaempfer. Detail (BL Sloane Ms 3060 fol. 502).

Auto-portrait par Engelbert Kaempfer (détail). (BL Sloane Ms 3060 fol. 502).

Après la mort de Kaempfer en 1716, sa collection fut achetée par le médecin, naturaliste et collectionneur Sir Hans Sloane et elle entra ainsi au British Museum lors de sa fondation en 1753. C’est de cette manière que le texte de La vie de Kōchi Hōin quitta le Japon et se retrouva à Londres.

Une note sur la deuxième de couverture rapporte que le livre fut étudiée au musée en décembre 1770, en même temps que d’autres livres chinois et japonais, par Chetqua, un fabricant chinois de modèles, qui déclarait à tort qu’il s’agissait d’« un livre d’histoire chinois ».

Note erronée de Chetqua à l'intérieur de la couverture (BL Or 75.g.23(1), front).

Note erronée de Chetqua à l’intérieur de la couverture (BL Or 75.g.23(1), front).

Par la suite, pendant près de deux siècles, il est demeuré inaperçu dans la bibliothèque du British Museum, jusqu’à ce qu’il soit retrouvé par le professeur Torigoe Bunzō de l’Université Waseda en 1962, qui le reconnut comme la seule copie subsistante.

En 1973, il a été transféré avec le reste des livres de Kaempfer dans les locaux de la nouvelle British Library.

Bien que le texte de la pièce ait été publié au Japon en 1966, ce n’est qu’en 2009 que « La vie de Kōchi Hōin » fut ressuscité et joué de nouveau, principalement grâce aux efforts de Donald Keene, professeur émérite de l’Université de Columbia. La représentation de cette année fera renaître l’histoire de Kōchi Hōin dans la ville où le texte a été préservé pendant près de 300 ans.

Bibliographie sélective

  • [1] Yu-Ying Brown. Origins and Charactersitics of the Japanese Collection in the British Library, British Library Journal, 24, 1998, pp. 144-157.
  • Yu-Ying Brown, Japanese Books and Manuscripts: Sloane’s Japanese Library and the Making of the History of Japan in Arthur MacGragor (ed.), Sir Hans Sloane: Collector, Scientist, Antiquary, Founding Father of the British Museum (London: British Museum, 1994), pp. 278-290.
  • Torigoe Bunzō and Charles Dunn (eds). Kojōrurishū : Daiei Hakubutsukan-bon. Tōkyō : Koten Bunko, 1966

(Source : British Library — Creative Commons BY)

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